Voilà trois ans que j’ai intégré le Big Show, la troupe d’élite de l’école du One Man Show. Au terme de l’audition, nous n’étions que quatre sur une trentaine à être sélectionnés. J’en fus si folle de joie qu’on aurait cru que j’avais gagné un oscar. Cette reconnaissance de mon travail (de jeu et d’écriture) – loin d’être acquise comme je l’ai raconté ici – a fait le déclic.
A partir de là, j’ai commencé à me « prendre au sérieux », à donner une perspective professionnelle et non plus dilettante à mon activité d’humoriste, sans imaginer les affres à venir et les 18 mois de tourments qui m’attendaient avant de trouver mon public. Ainsi naissait la légende de l'éternelle loseuse qui deviendra "La machine à gagner"
Au Big Show, où 8 humoristes s’affrontent en jouant leurs meilleurs sketchs et où le public vote pour son préféré en lançant des chapeaux, je ne gagnais jamais. Sauf sur un malentendu. Ou un heureux concours de circonstance (public clairsemé, amis dans la salle, contre-performance des favoris, etc.) J’étais même loin du gagnant. Pire, il arrivait que le public soit plié de rire et que je me retrouve quand même avec seulement 2 ou 3 chapeaux. Là, j’avais l’impression qu’on se moquait de moi, dans tous les sens du terme. J’étais félicitée pour ma présence, mon énergie, mon jeu, mais le public n’adhérait pas.
Et le public a toujours raison. Alors on post rationalise. On se dit qu’on est trop « vieille », pas assez mainstream pour ce public-là. On se dit aussi qu’on ne peut pas plaire à tout le monde… certes, mais il faut quand même plaire à certains, sinon à quoi bon ?
Je n’étais pas la première à vivre ce parcours. J’ai vu plus d’un humoriste, jadis maillon faible, commencer à gagner quand, enfin, il lâchait prise…
ce qui voulait généralement dire oser, lever les digues, se donner sans réserve… Je sentais cependant que pour moi – qui me jetait dans mes sketchs comme on dégoupille une grenade – l’enjeu était plutôt d’apprendre à « tenir les rênes ».
Et puis j’ai enfin connu le succès non pas au Big Show mais en jouant ma demie heure. J’ai vu que sur la longueur, avec un public qui venait pour moi, j’obtenais l’adhésion et des rires comme jamais. J’ai compris que le Big Show était un entraînement. Comme aller à la salle pour un sportif.
La vraie compétition, c’était de faire vivre mon propre spectacle, dont j’ai joué le showcase pour la première fois en mars 2019 devant une foule en délire ;-). A ce stade, j’aurais mis ma main au feu, que je ne gagnerai JAMAIS le Big Show.
Et voilà que le mois suivant, je gagne. Salle pleine, aucun Alsacien, personne que je connais. Pas de malentendu, ni de concours de circonstance. Ce soir-là, une majorité de personnes m’ont élue comme étant leur préférée. Un coup de chance ? Sans doute, car comme on dit chez nous « même une poule aveugle trouve de temps en temps un grain ». Et paf, quatre mois plus tard, je gagne à nouveau dans des circonstances similaires. Puis de plus en plus souvent et presque à chaque fois cette année. Même contre les plus forts. Même en étant en petite forme. Même devant des jeunes. Même sans jouer mes best-seller. Même en n’étant pas forcément la plus drôle, juste par la force du personnage auquel le public adhérait. Enfin !
Alors, qu’est-ce qui a changé ? Pas les sketchs, ni le niveau de compétition, ni le type de public, alors quoi ? A vrai dire, je ne sais toujours pas exactement ce qui a changé. Alors, encore une fois, je post rationalise,
sans certitude. Je pense que la différence vient essentiellement de ce que je dégage. Avant j’étais trop intense. Le public du Big Show cherche de la légèreté, il ne vient pas voir une nana de 50 ans se mettre à nu et à vif sur scène. Sans doute y avait-il quelque chose d’oppressant, de gênant, de presque obscène, dans ce que je dégageais. Fus-ce inconsciemment, de part et d’autre. A présent, je suis plus détendue. Je ne joue plus ma vie. Je me balade sur scène. Et j’obtiens d’autant plus l’adhésion du public qu’il se sent libre de me la donner.
« Lâcher prise » - que ce soit en jouant, en tractant, en prospectant… - c’est trouver ce subtil point d’équilibre entre persévérance et détachement. C’est inspirer sans désespérer, inviter sans imposer, car à trop chercher à donner envie, on finit par faire pitié et là, c’est mort ! Comme me l’a conseillé un pédiatre pour faire manger des légumes aux enfants :
« il ne faut pas forcer, mais il ne faut jamais arrêter de proposer ».
Et je comprends encore mieux maintenant, pour l’avoir vécu, le témoignage de Jean-Marie Bigard qu’une amie m’a envoyé alors que m’ébrouais dans les affres de l’insuccès….
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