Faire rire sur scène, est-ce inné ? est-ce acquis ? Faut-il avoir un talent naturel, le « Funny Bone » comme on dit ? Est-ce une question de lâcher prise ? de dépassement de soi ? de travail ? d’alchimie ? En vérité, il y a autant de parcours que d’humoristes différentes. Vous ne saurez jamais vraiment combien vos rires nous coûtent de larmes, de doutes, de peurs… car notre métier, c’est avant tout de transcender nos émotions pour que tout ait l’air facile. Comme disait Coluche « L'art du comique, c'est donner l'impression qu'on fait n'importe quoi quand on a travaillé dix heures sur une mimique ou une phrase ».
Moi, par exemple, ma « plume » a pu faire croire que l’écriture serait ma force, alors qu’il a fallu tout déconstruire pour arriver à l’efficacité comique. On me disait souvent « toi au moins, t’as pas peur », alors qu’il m’a fallu trois ans avant de prendre du plaisir sur scène. Je suis une professionnelle de la communication, et pourtant, quand je me suis lancée dans le stand-up je me suis sentie comme un Superman privé de ses pouvoirs. La première fois que je suis montée sur scène, éblouie par les projecteurs et pétrifiée par l’angoisse, je n’ai pas réussi à sortir un son.
Quand j’ai proposé mon premier sketch en cours, ma pire crainte était de lire mon texte et que personne ne rit. J’ai lu mon texte et personne n’a ri. Ce premier sketch, c’était « La Battle des régimes », devenu un des temps fort de mon spectacle. Cependant, tout ce qui reste de la V1, c’est le mot régime. Entre temps j’ai bossé et remis cent fois l’ouvrage sur l’établi.
Je vous propose aujourd’hui une plongée dans les affres de la création de ce premier sketch, pour en finir avec le mythe du « talent naturel ».
V1, « Daddy-Culbuto »
Me voilà donc sur scène, en plein jeu de massacre sur mon premier sketch, qui commençait pourtant super bien, je trouve ;-) :
« Figurez-vous que mon mari a décidé de se mettre au régime.
Bon, on peut pas dire qu’il en a pas besoin.
Avec les années, il a pris en kilos ce qu’il a perdu en cheveux.
Et comme il est plutôt du genre petit, trapu et ventru,
Tu lui coupe les pattes et t’en fais un culbuto »
C’est quand même drôle, non ? Ben non ! Y’a pas eu un rire, ni là, ni par la suite. Rien, nada, pas même un gloussement ! Le problème, c’est que faire sourire ne suffit pas. L’exercice n’a rien à voir avec l'écriture d'une chronique
Il faut que ce soit efficace et immédiatement drôle, sans réfléchir, l’écriture et le jeu ne contribuent qu’à ça : rendre le texte drôle, encore plus drôle, toujours plus drôle.
Je retiens donc de cette première séance que je suis trop descriptive, trop littéraire, que je manque de parti pris (c’est quoi l’enjeu ? c’est quoi le message ?), que je ne mets pas assez de moi en jeu, qu’il faut que j’interpelle l’audience, que le public comprenne tout de suite que je suis énervée, pourquoi je suis énervée… et que je charge mon mari !
V2, « Mon mari, ce héros ! »
Du coup je mets à la poubelle et je réécris les ¾ de mon texte sur le mode « mon mari, ce creuvard, ce flémard, ce toquard »… Mon sketch ne fonctionne toujours pas, mais cette fois-ci, je sauve les meubles. Déjà parce que je suis moins mal à l’aise sur scène, je commence à jouer mon texte. Deux pistes intéressantes émergent au niveau du fond (mon mari qui se transforme en Rambo, et moi qui finit violée par une pizza… si si, dans le sketch, c’est drôle, con, mais drôle) et la forme elle-même ne manque pas d’intérêt. Il paraît que je suis un « personnage », que j’ai de la « présence », de « l’énergie » et que du coup, on a surtout envie de me voir jouer.
Je pensais que le jeu était mon point faible et l’écriture mon point fort,
il semble que ce soit l’inverse. C’est fou comme malgré l’expérience et la patine de l’âge, on se connaît mal finalement !
Du coup la piste de mon mari flémard/creuvard est abandonnée (ouf). Il faut que je parle davantage de moi, que je pousse le bouchon plus loin et que je devienne vraiment folle sur scène. Dont acte !
V3, « Au secours, mon mari fait un régime ! »
A nouveau, je jette les ¾ de mon texte et je reprends l’écriture. Cette fois-ci je décide de changer d’angle et de partir du jeu pour arriver au contenu. J’intègre la mise en scène à l’écriture. Je répète inlassablement mon texte. Le soir en rentrant, devant mon ordinateur, dans les couloirs du métro… Le côté « folle », je le tiens, y’a pas de souci. Je suis complètement galvanisée par le challenge. J’ai des flashs, des absences en pleine journée car tout à coup je suis prise d’une idée. Je suis impatiente de retourner en cours pour me jeter à nouveau dans l’arène. J’y vais, je balance mon texte, et ça ne rit pas. Et puis ça rit au moment où je m’y attends le moins, puis sur une phrase qui n’est pas supposée si drôle que ça. Comme par exemple ici :
« Chez Weight Watcher, c’est le vocabulaire qui fait maigrir.
Les aliments n’ont pas de calories, ils ont des points.
On ne fait pas d’écart, on puise dans sa réserve de points.
On ne craque pas, on gère »
Au bout de quatre séances, je suis toujours incapable de savoir ce qui va faire rire ou pas. Cette fois-ci cependant, les ¾ du texte ne sont plus abandonnés mais sauvés. Même si je dois une fois de plus renoncer à des passages que je trouvais super drôle… et qui, de fait, ne le sont pas. De toute façon, la sanction est indiscutable : c’est bon quand ça rit, ce n’est pas bon quand ça ne rit pas. Il paraît que je dois en faire encore plus au niveau du personnage, renforcer le côté alsacien, gueuler plus fort....
C’est quand même formidable : pendant 50 ans, on m’a dit qu’il fallait que j’en fasse moins, et voilà qu’on m’exhorte à en faire plus ! Le soir même, tout se met en place dans ma tête et j’écris dans la foulée la V4 de mon sketch. Mon mari a complètement changé de personnalité depuis la V1 et n’a plus grand chose à voir avec mon vrai mari, mais qu’importe…
La question n’est pas : est-ce vrai (on s’en fout) mais est-ce que ça marche ?
Pour le savoir, venez donc voir la version 126B4/V8-last2020 sur scène, nom d’une quetsche !
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